jeudi 14 mai 2009

J+4: Rundu (Namibie)- Kasane (Botsana)


5h00
Les brumes du matin courent sur la rivière. Les grenouilles ont un son rond et cadencé.Il doit y avoir une grenouille chef d'orchestre ou alors c'est qu'en Afrique elles ont le rythme dans la peau. Au fur et à mesure que la lumière apparaît, les bruits changent et les coassements laissent la place aux gazouillis des oiseaux.
Nous reprenons le bateau en sens inverse jusqu'aux voitures. Je suis fatigué ce matin. Cette nuit, ma moustiquaire s'est décrochée du plafond vers 3h00. Un vrai bazar pour m'en dépêtrer. J'ai bien mis 5minutes pour comprendre ce qui m'arrivait. Au début je croyais que c'était dans mon rêve, je rêvais être emmêlé dans ma voile de parapente.
Je monte avec Helmut dans le coffre du 4 x 4 et nous mangeons le petit dèj sur la route qui nous mène à l'aéroport.
Aujourd'hui deux étapes importantes avant le vol:
1- la réparation de l'aile
2-le plein d'essence, à la méthode Helmut P:
Comment ça marche?
Il faut un fût d'essence, une perche d'un mètre avec un filtre à son bout qui plonge dans le fût, des pinces crocodile qui relient la batterie de la voiture à la pompe, deux fils sur une prise de courant mâle, des gants parce que le câble en direct sur la batterie ça chauffe fort, le pistolet dans le réservoir, le bouton de la pompe sur ON et c'est parti. Vous verrez mieux sur les photos de quoi il en retourne.Diabolique et empirique construction, mais ça marche parfaitement. Le plein est fait, nous pouvons y aller. Une fois en l'air nous prenons la mesure du désastre. La région est sinistrée par les inondations. Mais ce n'est pas seulement sur une petite partie du territoire. Ce sont des milliers d'hectares engloutis par les eaux. A mesure que nous nous approchons du delta d'Okavango, l'eau est partout. Les couleurs sont magnifiques. Bleu, vert, jaune et brun se mélangent. Le soleil se reflète à la surface. L'eau est claire, parfois transparente. Des villages sont littéralement coupés du monde.
On y aperçoit des habitants. Au passage de l'avion, des gamins sortent en courant des cases et nous saluent. Je leur réponds d'un signe de la main même s'ils ne peuvent pas me voir. Je me souviens gamin saluer les avions qui passaient au dessus de ma tête, persuadé au fond de moi que le pilote m'avait vu. Alors j'étais heureux. Peut être qu'un de ces gosses sera un jour pilote et fera la même chose un jour ? Je n'en sais rien...
Aujourd'hui le vol est long, 3h15, mais le paysage est tellement beau qu'il passe en un clin d'oeil. En cas de panne moteur on va à la baille avec les crocos et tout le reste. Je garde un oeil prudent sur le canot de sauvetage placé au fond de l'avion.
Avant l'atterrissage Dennis m'écrit un petit mot sur son carnet de note parce qu'on ne s'entend pas à cause du moteur : "tu le sens comment l'atterrissage?" C'est vrai que depuis le départ, c'est le point noir. Je lui réponds "si tu connais une prière c'est maintenant" et je lui fait un grand sourire. Il n'a pas l'air rassuré et apparemment il ne doit pas bien connaître ses prières car à l'atterrissage nous rebondissons trois fois et le troisième coup est assez fort. Comme on dit en aviation, "posé pas cassé". Un jour un pilote optimiste a écrit: "un bon atterrissage c'est quand on sort indemne de l'avion. Un excellent atterrissage c'est quand on peu réutiliser l'avion après" Je dis ça à Dennis. Il éclate de rire!
Nous refuelons. Le pompiste à l'air endormi et ses pompes ne marchent pas. Tout à coup il disparaît et plus moyen de mettre la main dessus.Nous devons réamorcer la pompe. Ne le voyant pas revenir, nous le faisons nous même!
Nous passons la douane et un minibus vient nous chercher pour aller à l'hôtel qui est à 5mn de l'aéroport. Il donne sur la rivière Chobe. Plus tard, pour le coucher de soleil, nous allons faire un tour sur l'eau, à la rencontre de la vie sauvage. Hypopotames, crocodiles, aigles, antilopes, éléphants, les photos parlent d'elles mêmes!
Demain nous ne volons pas, alors c'est relâche. Je retrouve Dennis au bar et nous descendons quelques Djinn Tonic "double on the rocks" au titre que le Schwepps contient de la quinine, ce qui est bon contre le palud. Nous nous soignons bien et prenons même de l'avance sur le traitement! Au comptoir, nous rencontrons des locaux. Le courant passe bien et après quelques verres de plus je procède à l'échange officiel de mon Tshirt aux couleurs de Reno, la course d'avion la plus rapide du monde avec un local qui vole chez Air Botwana. Dennis, lui mime avec son paquet de cigarette les atterrissages que nous avons subi jusqu'alors. On rit jusqu'aux larmes en imaginant toutes les possibilités qu'il nous reste à explorer en termes d'atterrissages. Heureusement que Thomas n'est pas là, nous devrions finir le chemin à pied. Le voyage n'est qu'à ses débuts. Il reste encore beaucoup de route à faire!
Nous finissons par retrouver notre chambre...Demain nous nous levons tôt, direction le Zimbabwe et les chutes Victoria...Génial!

J+3: Le départ, le vrai! Naua Naua-Tsumeb-Rundu


Au réveil, il y a de l'excitation dans l'air. C'est le grand jour. Nous partons. Les sacs s'entassent dans les deux voitures. Piet et Uwe nous conduisent d'abord à Naua Naua pour récupérer les dernières affaires de Thomas et Annette. Nous roulons ensuite jusqu'à la piste. L'avion est là, rouge et blanc. Il attendait son heure. Elle est venue. La piste, une large bande de terrain déboisée, mélange de latérite, de sable et d'herbe. Il y a 1000m pour décoller. 1000m pour arracher l'avion du sol et nous propulser dans les cieux d'Afrique. Il ne faut pas traîner. Chaque minute, la température augmente un peu et rend le décollage plus délicat. Thomas et Helmut P se chargent d'ajouter les 20 litres d'huile du jour par bidons de 1 litre, Dennis et Helmut B s'occupent des bagages, je me charge de faire vingt tour d'hélices pour faire circuler l'huile dans les cylindres, un vrai sport de brute. J'effectue la prévol de l'appareil, pour voir si tout est en ordre. Je remarque du scotch sur l'aile inférieure droite, qui recouvre une blessure. Je demande à Helmut P ce qu'il en est. "Ne t'inquiètes pas, je t'expliquerai plus tard". L'avion est maintenant chargé à ras bord. 3 fûts de 200l, des cartons de bidons d'huile par pack de 10, les bagages, les club de golf d'Helmut B, une échelle, une roue de secours, les gilets de sauvetage, le matériel de survie, les balises de détresse et quelques outils.
Nous faisons nos adieux à Uwe et Piet et montons à bord. L'instant est solennel. Thomas et Helmut P mettent en route. Il faut être deux pour démarrer l'Antonov. Le pilote gère le starter et les magnétos. Dès qu'il les enclenche et que le moteur produit ses premiers toussotements, le copilote injecte de carburant et le pilote pompe sur la manette des gaz. Un nuage de fumée envahit le cockpit, et sort par les instruments et la console du tableau de bord. Le moteur hésite, tousse, crachote et tout à coup se met en branle dans un bruit fantastique. Il tourne rond et pétarade tant qu'il peut. Nous remontons la piste jusqu'au bout. Thomas fait les essais moteurs et pousse la manette des gaz à fond. D'une main nous nous tenons à une barre située sur les parois de la cabine. L'avion prend de la vitesse, se met en ligne de vol et lentement quitte le sol. Nous prenons une faible pente de montée. Annette salue par le hublot nos deux amis restés au sol. Ca y est, nous volons. Nous nous tapons dans les mains pour extérioriser cette première réussite et pour se souhaiter aussi un peu bonne chance. Dehors, le bush à perte de vue. Les couleurs sables se mélangent aux vert des petits feuillus. Parfois une piste toute droite court jusqu'à l'horizon. C'est merveilleux. J'ai une pensée vers tous ceux que j'aime, tous ceux qui ont suivi et supporté ce projet. J'aimerais qu'ils voient ça, qu'ils soient là. Les appareils photos crépitent dans tous les coins, à tous les hublots, à gauche à droite...comme si on ne voulait pas perdre une miette de chaque centimètre carré de cette terre d'Afrique, comme si on avait peur d'oublier un instant si magique. Au bout de 10 minutes les premières turbulences apparaissent. Faibles au début, elles deviennent rapidement fortes. Nous sommes obligés de nous attacher. Une odeur d'huile de moteur chaude envahit la cabine. Nous commençons a ressentir les premiers symptômes du mal de l'air. Ça commence par de la transpiration, une envie de dormir et la bouche pâteuse. Comme le mal de mer et les odeurs de gazole. C'est la première fois que ça m'arrive en vol.
Je me dit: Jean Marie soit tu réussis à t'adapter rapidement auquel cas il n'y aura pas de problème, soit ce voyage va être un calvaire au quotidien. Thomas me demande de le remplacer aux commandes pour une demi heure. Je m'installe en place gauche et prend le manche. Je me sens rapidement mieux. Piloter ce vieux bourrier est extraordinaire. Je n'ai pas vraiment le temps de penser au rêve qui m'habite depuis tant de jours. Je suis maintenant en plein dans la réalité et il faut gérer la route, l'altitude, la vitesse et les paramètres. Le manche est lourd, les efforts demandent une réelle pression musculaire, comme il y a 50 ans. Les pilotes d'antan étaient de sacrés bons gars. Ils en ont fait des choses extraordinaires avec les moyens de l'époque! Et aujourd'hui on est un peu à leur place, avec le même matériel, voire même un peu plus vieux.
Dans le cockpit il y a une fenêtre que l'on peut ouvrir en vol, comme une vitre de voiture. je l'ouvre aux 3/4 et l'air circule mieux. Helmut P lui, a ouvet sa combinaison de moitié. La bedaine à l'air, il est tranquille. Il a bien raison. Du cockpit, le paysage est encore plus beau.1h19 plus tard nous sommes en finale à Tsumeb. Thomas reprends les commande et fera d'ailleures tous les atterrissages et décollages du voyage. Pour le reste nous nous relayons. Au moment où nous touchons les roues, la roulette de queue sort de piste et va traîner dans l'herbe. Le frein pneumatique souffle très fort et produit des "tchhh-tchhhh" chaotiques.Finalement nous nous arrêtons. Un grand coup de gaz et nous rejoignons le parking. Thomas n'a pas l'habitude de voler avec autant de charge, le comportement de l'avion change beaucoup. Il n'a pas gardé assez de vitesse en finale. Heureusement que l'Antonov s'accommode de faibles vitesses d'atterrissage.
Nous sautons sur la porte pour l'ouvrir et respirer un bon bol d'air. Une fois les pieds au sol et les trois premières respirations passées, tout va bien. C'est immédiat. C'est là que tout le monde avoue avoir été ballonné pendant le vol.
Nous devons refueler. 670 litres, afin de rejoindre Rundu en toute sécurité. Le plein ne pose pas de problème. Après 30mn d'arrêt nous repartons. Une petite angoisse au ventre, en se disant "dans 5 minutes je suis malade c'est sûr". Mais en remontant Anette nous montre les trois aérations du plafond qui sont fermées. Nous avions oublié de les ouvrir. Du coup l'air ne circulait pas et nous baignions dans les odeurs d'huile et d'essence, le tout dans la chaleur de l'Afrique. Sauvés! Nous ne serons plus malades une seule fois. Nous mangeons aussi des pommes en vol et ça semble avoir un effet positif. Après le décollage, nous passons quelques reliefs. Parfois une ferme perdue dans la pampa apparaît, isolée, coupée du monde et entourée par la vie sauvage. J'admire ceux qui y habitent . Un jour, un mois, un an d'accord, mais toute une vie!Admirable.
Parfois on aperçoit un point d'eau, on essaye de voir si on peut repérer des animaux qui viennent se désaltérer. Mine de rien, notre vieil avion avance bien. On est à environ 200 km/h. Le paysage défile. Les 1000ch du moteur déchaînent les décibels. Des casques anti-bruit sont à disposition, pendus sur les câbles en acier tressé qui servent au largage parachutiste. Les vols sont un véritable festin visuel. Nous arrivons à Rundu après 1h30 de vol. Et là, l'aventure a failli s'arrêter pour de bon. Laissez moi vous expliquer. En aviation, on cherche au maximum a atterrir face au vent. Nous faisons donc un repérage pour voir la manche à air et décidons du sens d'atterrissage. Le repérage est fait, nous atterriront vers l'Est avec un vent d'une quinzaine de noeuds. Alors que les roues touchent la piste, le vent tourne de 180° et pousse la queue de l'avion sur la droite. La queue cherche à dépasser le nez de l'avion. Le résultat ne tarde pas, nous faisons un 360° sur nous même. Tout le monde s'accroche. Thomas gueule en Allemand "MERDE". Pendant trois secondes, je serre les fesses et retiens ma respiration. Le risque, c'est de se retrouver sur le toit ou de casser une aile en percutant la piste. Par chance, nous avions un peu réduit notre vitesse et l'empattement du train d'atterrissage est large. Nous nous arrêtons dans l'herbe. Une fois stoppé, nous vérifions si les roues sont toujours là, et qu'elles n'ont pas éclaté. Nous avons marqué la piste d'un zéro avec le caoutchouc des pneus. J'attends avec impatience la prochaine mise à jour de google earth pour voir ça!
La police locale nous attend à la descente de l'avion. Il sont très sympas mais insistent pour voir nos passeports. Ils veulent aussi inspecter l'intérieur de l 'avion, plus par curiosité pour ce gros oiseau blanc que par réel soupçon de trafic d'armes, de drogue ou de diamants. Généralement quand ils voient le bordel à l'intérieur de la cabine, ils sont vite dissuadés d'y organiser une fouille. Nous sortons les sacs et un fût d'essence pour le remplir à la prochaine station service. Nous devons aussi organiser la douane pour demain matin. Et oui, nous quittons le territoire Namibien. Nous devons donc faire tamponner nos passeports. Il nous faut donc un officier de l'immigration. Nous appelons le bureau des douanes : "Pouvez-vous être là demain matin à 07h00?" réponse "ah ben non, nous n'avons pas de voiture pour aller jusqu'à l'aéroport". Ok, nous leur envoyons un taxi pour demain matin. C'est un peu comme si vous deviez payer directement l'essence de la moto du gendarme qui vous arrête pour excès de vitesse. J'adore l'Afrique, c'est comme un kinder surprise, on ne sait jamais sur quoi in va tomber.
Deux 4 x 4 dépêchés par l'hôtel sont là pour nous récupérer. Avec tous les bagages et le fût nous n'avons pas assez de sièges. Je fait le trajet dans le coffre. Nous nous arrêtons dans le centre ville de Rundu. Pendant que Thomas remplit le fût d'essence, nous allons au Brico depôt du coin, acheter de quoi réparer l'aile. Je ne sais toujours pas ce qui est arrivé, mais je sais que maintenant il nous faut un bout de plastique dur, et des baguettes de bois, parce que la réparation de fortune se déforme sous l'effet du vent pendant le vol. Dennis, qui parle allemand a compris pourquoi l'aile est abîmée, Thomas a percuté un arbre hier à l'atterrissage et le phare situé au milieu de l'aile est cassé. Bon, rien de grave, ça aurait pu l'être davantage. Parfois, je regrette de ne pas parler allemand . Mais Dennis est sympa, il a compris ma position d'étranger parmis les étrangers à l'étranger et me traduit l'essentiel en anglais.
Au bout d'une demi-heure, nous avons ce qu'il nous faut. En route pour l'hôtel. Le chauffeur nous annonce que la route habituelle n'est plus praticable à cause d'importantes inondations liées à la saison des pluies. Apparemment cette année les crues ont battu des records, jetant des milliers de personnes sur les routes. D'ailleurs des tentes de l'armée mises en place par la croix rouge, bordent la route. Ce qui est à craindre lors d'inondations, c'est la prolifération des moustiques donc de la malaria, mais aussi du choléra. Les reptiles également fuient les zones inondées et en ce moment il a beaucoup de serpents dans les parages. Nous rejoignons donc par la piste, les berges du Zambeze. Là, deux bateaux: un pour les sacs et un pour les bagages! Génial, une balade en bateau improvisée. On croise notre premier crocodile qui bronze sur un banc de sable. Ces bougres ont le camouflage parfait pour passer inaperçu. Mais notre conducteur à l'oeil bien entraîné. Au début il nous dit: "vous le voyez là?" et tout le monde "où? où?" Et ça dure bien 30 secondes avant que le premier dise: "ah oui, je le vois" et les autres "où?où?". "Mais là à gauche!" Finalement tout le monde le trouve. Frisson.
Ce soir, nous dormons dans des cases très bien aménagées et modernes sur les bords du Zambeze. L'hôtel vient de réouvrir il y a quelques jours à peine. Il était sous les eaux la semaine passée et nous voyons clairement les traces laissées par la boue. Mais le staff a bien travaillé et l'endroit est charmant. Il nous font un prix pour le dérangement et nous payons seulement 40$ la nuit. Après une bonne douche, c'est l'heure des "sundowners" autrement dit, l'apéro devant le coucher de soleil, et ce soir il est magnifique. Nous prenons un bateau plat et allons nous balader sur la rivière. Sur la berge opposée c'est l'Angola. Nous distinguons clairement le premier village et l'on pénètre illégalement en Angola par un bras de la rivière. Tiens, un autre crocodile, plus gros celui là. Allongé sur la berge, il se sent menacé. Nous ne sommes qu'à 3 mètres de lui. Nous ne voulions pas le déranger. D'un coup de queue puissant il fonce dans l'eau et disparaît.
Nous rentrons aux dernières lueurs du soir. Un dîner à la bougie puisque l'électricité est en panne et nous regagnons nos cases, enfin, notre "chambre de lune de miel" répète Dennis! Je préfère fermer les yeux et repenser à toutes ces images de ces premiers vols. Demain on part au Botswana et on survole l'Okavango....J'ai hâte....